TITAN
Les premiers résultats scientifiques sur Titan
La conférence de presse sur les premiers résultats scientifiques de la sonde Huygens s'est tenue le 21 janvier 2004 au siège parisien de l'Agence spatiale européenne.
D'un point de vue scientifique, le succès est total, l'analyse des données prendra plusieurs années et peut se résumer à cette déclaration de Martin Tomasko, chercheur responsable du radiomètre spectral imageur de descente (DISR) : "Nous détenons aujourd'hui les informations nécessaires pour comprendre ce qui façonne le paysage de Titan."
Les premières données montrent que si Titan par des aspects visuels ressemble à la Terre avec de nombreux processus similaires, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un monde complètement inconnu, un monde qui dépasse tout ce que nous connaissons sur Terre, un monde où la chimie à l'œuvre est totalement différente de celle que nous connaissons sur Terre. Néanmoins, les composés en jeu ne sont pas les mêmes. L'eau liquide terrestre est remplacée par du méthane et les rochers de silicates terrestres sont plutôt des blocs de glace d'eau sur Titan.
Huygens a confirmé l'existence de méthane liquide, des traces de pluie de méthane, des sources... Le méthane semble donc bien jouer un rôle prépondérant, semblable à l'eau sur Terre mais avec des conséquences différentes.
Les images acquises par la partie imageur du Radiomètre spectral de descente (DISR) ont montré des paysages de la surface de Titan qui présentent de remarquables analogies avec la Terre, du point de vue météorologique et géologique. Certaines images font apparaître un réseau complexe de chenaux de drainage étroits allant d'une zone claire de plateaux vers des zones de plus basse altitude, plus lisses et plus sombres. Ces chenaux se rejoignent pour former des systèmes fluviaux qui se dirigent vers des lacs asséchés dans lesquels on peut déceler des formes rappelant étrangement les îles et les hauts-fonds de notre planète.
On peut aisément comparer certains clichés de Titan au Gange, un fleuve qui prend sa source dans l'Himalaya et qui descend se jeter dans le golfe du Bengale par un vaste delta marécageux (Bangladesh).

A gauche, le delta du Gange, photographié à l'infra-rouge par satellite. A droite, un petite partie de la surface de Titan, photographiée par Huygens et soulignant un réseau (possible) de chenaux de drainage étroits se rejoignant pour former des systèmes fluviaux qui se dirigent vers des lacs asséchés. Photo. : ESA/NASA/JPL/University of Arizona.
Les images acquises lors des survols de Cassini ont mis en évidence des zones claires et sombres que l'on comprend mieux aujourd'hui. Les images de Huygens sont bien plus explicites et montrent que les zones claires sont des régions glacées au relief plus élevé, environ 100 m. d'altitude où les dépôts de composés organiques complexes y sont nettoyés par la pluie de méthane. Ces dépôts se concentrent donc dans les zones plus basses, qui apparaissent alors foncées.
A la surface, Huygens a détecté une source de méthane. Les scientifiques pensent qu'il aurait plu un peu avant l'arrivée de la sonde, et que cette pluie, ayant percolé dans le sol, aurait pu être libérée à l'atterrissage. Il faut noter que contrairement à ce qui se passe sur Mars, le liquide est ici piégé à quelques centimètres seulement de la surface. De la même manière, les "rivières" et les "lacs" ne présenteraient pas de liquide en surface, mais juste en dessous de celle-ci.
L'atmosphère de Titan a également surpris les scientifiques car Huygens y a trouvé des traces d'argon dégagé à la suite de la décomposition radioactive de roches, ce qui était prévu, mais aucune trace de gaz nobles primordiaux, pourtant présents dans la nébuleuse proto-solaire. Cette absence serait liée à la façon dont s'est formé Titan.
Enfin, les résultats de pyrolyse, qui visent à mesurer la composition des aérosols, des gouttelettes microscopiques en suspension dans l'atmosphère de Titan, sont encore attendus.
La sonde Huygens
Construite au début des années 90 par Alcatel Space, la sonde Huygens est un projet de près 380 millions d'euros. Sa construction a pris plus de 10 ans et après un périple de plus de 7 ans à travers le Système Solaire, force est de constater que la sonde a parfaitement fonctionné lors de sa descente sous parachutes, la phase la plus critique, la plus périlleuse de la mission. Alors qu'initialement les chercheurs pensaient que la sonde ne serait pas en mesure de fonctionner plus d'une demi-heure au sol, Huygens a si bien survécu à sa descente et à son atterrissage qu'elle a continué a émettre des informations plus de sept heures après. Des données n'ont pas pu être transmises à l'orbiter Cassini, en orbite autour de Titan à près de 60 000 km., car l'orbiter américain est passé sous l'horizon, perdant ainsi tout contact avec Huygens.
La seule petite ombre au tableau vient du non-respect par l'équipe de la caméra du principe de redondance. Plutôt que de transmettre deux fois les mêmes données sur deux canaux en parallèle, ils ont transmis une partie des données sur un canal et l'autre partie sur l'autre canal redondant de façon à avoir deux fois plus d'informations. Puisqu'il y a un canal qui n'a pas fonctionné - qui n'a pas été mis en route, en fait - par une erreur humaine dans les commandes, il y a une partie des données qui a été perdue. S'ils avaient utilisé la redondance comme tout le monde, ils auraient mis toutes les données sur un seul canal et on les aurait reçues de toutes façons.
La moitié des images a été perdue et les résultats de l'expérience Lidar, un instrument chargé de mesurer le profil des vents, n'ont pas été transmis. Cependant, il semble que les données Lidar ne soient pas complètements perdues. Le profil des vents pourra être reconstitué avec autant de précision par effet Doppler grâce au réseau de 18 radiotélescopes organisé par Jean-Pierre Lebreton et qui a permis de suivre Huygens lors de sa descente et lors de son activité au sol, un peu plus de sept heures.
Le site d'atterrissage de la sonde Huygens, photographié par Cassini. (Cliquer sur l'image pour la voir en grand format). Photo. : ESA/NASA/JPL/University of Arizona.
Sur les images de la surface de Titan acquises par la caméra prenant des clichés à la verticale de la sonde (une des trois caméras de la partie imageur du DISR), nous pouvons apercoir que des blocs disparaissent d'une image à une autre.
Les scientifiques ne se sont pas encore prononcés sur ces images, mais l'explication serait toute simple. En attendant une analyse plus poussée des images, on explique leur disparition par la chaleur dégagée par la sonde.
Les blocs qui sont présents à la surface de Titan ne sont pas des cailloux, il s'agit de blocs de neige sale. Certains de ces blocs, les plus petits d'entre eux, auraient été réchauffés par la sonde elle-même et son éclairage et cela auraient pu les faire fondre. Rappelons que la température mesurée en surface par Huygens avoisinait les -200°C, et que sous l'éclairage du projecteur, resté allumé environ 30 minutes après l'atterrissage de la sonde, la zone située directement en dessous s'est probablement réchauffée dans des proportions significatives. Photo. : ESA/NASA/JPL/University of Arizona.
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